9 août 2015

La Baume du Gotteron (La véritable histoire du Dragon de la vallée du Gotteron)


Histoire du dragon du HC Fribourg-Gottéron


Féroce ou maléfique, la bête ailée cracheuse de feu est le totem du club.


Le HC Fribourg-Gottéron est le premier club d’Europe à avoir utilisé une figure emblématique: avant chaque début de match, l’équipe surgit de la gueule d’un gigantesque dragon. Cette sculpture, créée en 1998 par Hubert Audriaz, tire son histoire de la légende du dragon de la vallée du Gottéron.

 «Comme habitant de la Basse-Ville, je connaissais bien sûr la légende du dragon de la vallée du Gottéron. Du reste, en hiver, quand il y a de la bise, on entend son cri. Or le berceau du club, c’est cet endroit. Dès lors, il était tout naturel de choisir cet emblème»


Certains disent que lorsque le vent souffle en hiver, on peut entendre son cri. Cependant, il n’a pas été facile pour Hubert de convaincre les dirigeants du club de prendre le dragon comme figure, mais il a su imposer son choix.


La Baume du Gotteron 

Légendes fribourgeoises (1892)
M. l’abbé Joseph Genoud (1851-1919)



Il y avait à l’entrée du Gotteron un petit pont de pierre, auprès duquel le couvent de la Maigrauge possédait un moulin. Au fond de la gorge gisaient encore les ruines du château de Felda. 

Le pont du milieu et celui de St-Jean était encore en bois. Lorette n’existait pas, et à Montorge, quartier populeux, où l’on reléguait les insolvables, il y avait un étang. La commanderie était un véritable couvent où quelques chevaliers de St-Jean vivaient en communauté. C’était un de nos plus anciens établissements religieux ; le tombeau du fondateur se voit encore au nord de l’antique église avec le millésime 1224. Sur la Planche on remarquait la maison des Maggenberg, famille puissante, et la place du tir, transférée en 1420 sur les Grand’places. 

La rue qui conduit à la Chapelle de St-Béat, s’appelait Baume supérieure, celle qui conduit au Gotteron, Baume inférieure. Pour construire le mur de la Baume il fallut transporter des baraques et creuser des fondements dans le roc. 




Qui ne connaît la sévère vallée du Gotteron ? Etroite et longue, elle commence au quartier de l’Auge pour aller se perdre bien loin, dans la paroisse de Tavel. Deux parois de rochers la resserrent et quelquefois la surplombent. Tantôt dépouillées de tout vestige de végétation, tantôt tapissées de gazon, de bois et de broussailles, elles offrent au regard du spectateur des images variées à l’infini.


La tête du Dragon (Vallée du Gottéron)





Peintres et poètes s’y rencontrent pour cultiver les muses ou bien admirer la sauvage nature. Parfois quelque étudiant s’y égare sous prétexte d’herboriser, mais à vrai dire pour faire l’école buissonnière. Loin des yeux des profanes, chacun savoure les douceurs de cette solitude et donne un libre cours à ses rêves, à ses illusions et à ses espérances. Nul ne soupçonne que de mystérieux ennemis s’y cachaient jadis et multipliaient autour d’eux les victimes de leurs sortilèges ou de leurs cruautés. Ne rappelons que deux histoires scrupuleusement transmises par les traditions populaires.

Voyez-vous à l’entrée de la vallée, près de la chapelle de St-Béat, une grotte sombre et profonde que des actes de 1394 désignaient déjà sous le nom de Baume au-delà du Pont ? N’en approchez point sans réveiller auparavant toute votre énergie.


La fameuse chapelle St-Béat à l'entrée de la vallée du Gottéron


N’y entrez point sans avoir réglé les affaires de votre conscience et terminé votre testament. Moins dangereux qu’autrefois, ce repaire peut cependant vous réserver d’effrayantes surprises. Là se réfugiait, dans un temps bien reculé, un épouvantable dragon, terreur de toute la contrée. Des ailes à larges envergure lui permettaient de s’élever bien haut dans les airs et d’échapper aux coups des chasseurs ; une longue gueule armée de dents tranchantes comme une scie révélait ses instincts féroces et son formidable appétit. Pourtant, moins sanguinaire que menaçant, il se contentait d’ordinaire par année de deux proies bien choisies, l’une pour son dîner de la St-Antoine, l’un des patrons des anachorètes (13 juin), et l’autre pour son souper de la St-Michel, le vainqueur du dragon infernal (29 septembre). C’était peu, mais c’était encore trop, car les gens qui dévorent tant de bêtes n’ont jamais pu se résigner à leur servir d’aliment, même pour les repas des grandes circonstances.


Sculpture du dragon (Lac noir, en hiver)


Pour se délivrer du monstre, on eut recours à tous les moyens. Engins meurtriers, pièges déloyaux, processions de l’église des Augustins jusqu’à la chapelle St-Béat, exorcismes et anathèmes, tout fut essayé et tout échoua. Comprenant qu’une guerre à outrance lui était déclarée, ce voisin désagréable n’en devenait que plus rusé et plus malfaisant. Enfin, on finit par où l’on aurait dû commencer : on s’adressa à un disciple de St-Meinrad, de cet ermite extraordinaire qui, ayant vécu si longtemps au milieu des forêts, devait avoir légué à ces enfants le secret d’apprivoiser les animaux féroces ou de les congédier pour toujours.

Après un temps de jeûne et de prière, le moine s’avance vers son dangereux adversaire. Nul n’ose l’accompagner, tant le résultat du singulier duel à armes inégales est incertain. Sur le seuil de sa caverne, le dragon est immobile, fier et menaçant, comme pour affirmer qu’il est chez lui, dans son domaine, et que nulle force ne pourra l’arracher à son antre ténébreux. Cependant le religieux ne recule point. Ses lèvres murmurent des oraisons, ses yeux fixent les yeux du carnassier, sa main se lève pour décrire dans les airs un grand signe de croix et en même temps, avec une audace surnaturelle, il jette l’anathème en disant : Loin d’ici ! Maudit ! Loin d’ici !


Sculpture du dragon (Lac noir)



A ces paroles, que répètent les échos dans les profondeurs de la vallée, le fougueux animal, avec des battements d’ailes formidables, s’élance jusqu’au sommet de son rocher. De là-haut il darde son ennemi des regards flamboyants comme pour le fasciner, ses mâchoires s’agitent comme pour le broyer, sa gueule s’ouvre énorme comme pour l’engloutir tout vivant.

Sans se déconcerter, le moine poursuit ses exorcismes. Arrières, maudit ! crie-t-il ; arrière et disparais à jamais ! A jamais ! A jamais ! dit et redit l’écho. Mais cette voix n’est pas encore éteinte dans les sinuosités lointaines du Gotteron que soudain un effrayant craquement retentit.

Sculpture du dragon (Lac noir)

Le sol tremble comme secoué par la main d’un géant, le roc s’effondre et se brise, le monstre pousse un dernier cri, cri de défaite et de désespoir qui fait frissonner toute la population groupée près du pont, puis il disparaît dans une énorme crevasse, emprisonné sur le théâtre même de ses forfaits, enseveli tout vif au milieu des blocs entassés et du terrain éboulé.

A cette vue, le peuple applaudit bruyamment et félicita le moine. Plus tard, nul imprudent n’a osé déblayer ce monceau de décombres, de crainte de rendre la liberté au monstre. Pour opérer ce travail téméraire, il faudrait une permission de la municipalité et plus de vingt bras vigoureux de la Basse-Ville, deux choses difficiles à obtenir.







La chapelle St Béat actuelle.  
Sur la droite, dans le rempart qui s’ouvre sur la vallée du Gottéron, 
la chapelle aurait été construite sur l’antre du dragon. 
© Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg, fonds De Weck-Degottrau



La chapelle Saint-Béat   

De l’autre côté du pont de Berne court la rue des Forgerons et s’ouvre la vallée du Gottéron. Au début , les habitants de ce faubourg affichent une belle indépendance. D’ailleurs , ils dépendent longtemps de la paroisse de Guin. Une légende dépeint ce territoire comme un endroit dangereux , inaccessible. Un ogre garde cette région et sème la peur , la terreur et la dévastation. Mais , un jour un ermite réussit à le dompter. Alors le monstre , dans un fracas terrible , creuse le trou de la Palme et s’enfuit dans la Sarine.

Peu à peu ce quartier rejoint celui de l’Auge et s’articule à la ville. Un imposant dispositif de tours et de remparts le force à se penser comme fribourgeois de l’intérieur. Car le Gottéron est la route classique du Bernois féroce et envahisseur. L’incendie de 1472 démontre aux habitants les bienfaits de la solidarité et des saints de l’Auge. En reconnaissance , ils fondent la confrérie de Saint-Uldaric à l’église des Augustins. Au XVI e siècle , la ville y place une de ses fontaines. 


La fontaine de la Fidélité avec en arrière-plan la chapelle St-Béat

Fontaine de la Fidélité


C’est la fontaine de la Fidélité. Ce soldat vêtu du harnais de guerre de l’époque veille et surveille la route de Berne. Prêt à intervenir , il a déjà l’épée au fourreau. Il tient fermement le drapeau fribourgeois. Il veille , perpétuelle sentinelle , sur l’indépendance de la cité. Sur la colonne de la fontaine , la danse des enfants ailés exprime la joie du Fribourg de l’époque qui vient de réussir deux exploits: garder la foi catholique , celle des ancêtres et agrandir son territoire notamment par l’achat d’une partie de la Gruyère. Les sculptures de la fontaine racontent d’étranges histoires. On y voit un poisson , qui rappelle la Sarine nourricière , puis les armes de Fribourg , un ermite exorcisant le dragon , un autre qui écoute la trompette de l’ange. Il y a encore des initiales , celles des Gady et des Jungo. et les armes de la famille Raemy. « Ces quatre petits personnages , debout , qui sur une tête de mort qui sur une coquille qui sur un tambourin , enflant leurs joues en embouchant de grandes trompes , constituent à eux seuls un véritable petit chef d’œuvre » , comme le dit Max Techtermann. Hermann Schöpfer , dans son guide sur Fribourg , estime aussi que la décoration de la colonne de cette fontaine est la plus belle de la ville.

Puis Fribourg réussit sa contre-réforme. A la première bataille de Villmergen , la Suisse catholique relève la tête. En 1683 , l’Europe catholique sans la France arrête les turcs à Vienne. Fribourg publie un gros livre à la gloire de l’Hercule catholique et dresse un autel de la victoire à sa cathédrale. Ce canton consacre les deux tiers de ses revenus aux soldats de Dieu. Il replonge dans les racines de son histoire. Les Suisses relancent les Saints du début du christianisme. Celui-ci ne date pas de Calvin ou de Zwingli mais d’une quinzaine de siècles plus tôt. Un saint devient très à la mode, saint Béat , qui aurait été envoyé par saint Pierre le prince des apôtres , pour évangéliser l’Helvétie. Le père Canisius publie sa biographie , l’historien François Guillimann en parle dans ses livres. Mais son culte devient difficile , puisque Berne a muré la grotte du Beatenberg , lieu où mourut le saint.

Fribourg veut recréer le culte du Saint. L’idée naît dans la tête de l’Avoyer Tobie de Gottrau. Les politiques en parlent lors de leur conférence à Lucerne. Dans son Hercules Catholicus , Jacques Schueller revient sur les miracles du saint et espère le retour des protestants à l’ancienne foi.

Pour les Fribourgeois , le protestantisme est un dangereux dragon... qui relève la tête. Cette fois , les catholiques glissent vers la peur ; des bruits de guerre se préparent. Il faut se protéger. Le gouvernement obtient des reliques de saint Béat du Chapitre de Lucerne en 1684. La chapelle du Gottéron est bénie le 10 août de la même année et consacrée le 10 août 1696. Le gouvernement approuve ce bâtiment en donnant de la poudre pour réjouir la cité par des coups de canons.

En 1712 , les catholiques cette fois perdent à Villmergen , la dernière guerre de religion en Suisse sous l’Ancien Régime. Et la chapelle Saint-Béat tombe en ruines mais son souvenir demeure. Un jour , Pierre Kuenlin préside une assemblée des habitants de la Palme. Ceux-ci décident de rester fidèles aux vœux des ancêtres et de reconstruire la chapelle. Ils promettent de l’entretenir et de fournir les ornements nécessaires. Ils jurent aussi de payer le prêtre séculier qui chantera la messe le jour de la dédicace 62 fixée au dimanche après Pâques. Le 19 avril 1733 , le quartier de la Palme vit un jour de fête. L’évêque Claude-Antoine Duding , sacré à Porrentruy , reconsacre la chapelle Saint-Béat. Elle demeure placée sous la protection du premier apôtre de l’Helvétie , pour copier le document épiscopal mais l’autel reçoit de nouvelles reliques : celles de saint Ours et de saint Victor de la légion thébaine , celles encore des saints Donat , Innocent , Xiste et Mansuet. En donnant la bénédiction solennelle , l’évêque fait pleuvoir des indulgences sur les fidèles et donne le droit de patronage au quartier de la Palme.

Texte tiré de l'ouvrage NICOULIN, Martin, "Invitation à la joie éternelle, L'église de l'Auge et ses saints", Paroisse Saint-Maurice, 2016







Egger Ph.