Fils de l’ancien président de Gottéron, Claude Martinet a importé en Europe une thérapie pratiquée aux Etats-Unis.
Il s’agit d’une secousse soudaine et violente du cerveau consécutive à un choc. Maux de tête, vertiges, pertes de mémoire, étourdissements. Mais aussi troubles de la vue et de la parole. Ou encore perte de conscience, amnésie, nausées et vomissements: la commotion est sournoise avec des conséquences plus ou moins graves selon la brutalité de la charge. Les cellules nerveuses (neurones) peuvent être endommagées et causer des symptômes, de la confusion minime au coma.
«C’est une blessure pénible car il est impossible de savoir quand ça ira mieux, racontait Matthew Lombardi à la Tribune de Genève le 7 août. Il n’est jamais possible de fixer une date de retour. Il faut juste être patient…» Le Canadien qui en a connu trois sérieuses dans sa carrière a énormément souffert. «Le mot-clé pour les commotions, c’est le repos et être à l’écoute de son corps», renchérit Kevin Romy, victime d’un coup à la tête en fin de saison dernière. Le Neuchâtelois a mis tout l’été pour s’en remettre.
Rester dans le noir c’est fini!
Rares sont les hockeyeurs qui ne se sont jamais retrouvés dans le brouillard durant leur carrière. Comme une dent qui tombe, c’est, dit-on dans le milieu, le métier qui rentre. «Il y a 50 ans, on conseillait aux commotionnés de rester dans le noir, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il est surtout important que le patient bouge», précise le Pr Daniel Fritschy, l’un des médecins de Ge/Servette, conscient du danger que rencontre un joueur à chaque fois qu’il saute sur la glace.
Depuis le début de cette saison, il n’y a pas une semaine où on ne parle pas d’un nouveau cas. Marco Pedretti est le dernier répertorié. «Il ne savait même plus où il se trouvait, quel jour et mois de l’année on était», soupire le coach des Grenat Chris McSorley. La statistique révèle que chaque club dénombre entre 7 à 9 commotions par saison. Au moins!
Neuf mois d’attente
«C’est inquiétant mais il y a quelque chose qui peut être mis en œuvre», rassure Claude Martinet (43 ans), qui n’est autre que le fils de Jean, ancien président légendaire de Gottéron. «Mon fils Mathys (7 ans) a dit à sa sœur, Oriane (12 ans), qu’il ne voulait pas jouer au hockey car papa il répare des commotions!» se marre celui qui est tombé dans la marmite tout petit déjà. C’est à cette époque qu’il a connu le Québécois Daniel Bouchard, ancien gardien des Nordiques et de Saint-Léonard. «Il a ensuite travaillé à Atlanta avec le Dr Carrick, grand spécialiste du traitement des commotions, poursuit cet ancien joueur de hockey de Marly (1re ligue). C’est lui, Ted Carrick, qui a soigné Sidney Crosby, la star de Pittsburgh, avec une méthode reconnue et performante. Depuis c’est le buzz. En Géorgie, il y a neuf mois d’attente!»
Cette sommité soigne des athlètes, mais aussi des gens qui souffrent de parkinson, de l’alzheimer, des troubles de l’attention ou d’hyperactivité. La thérapie, sans médication, existe depuis trente-cinq ans. Elle attire des hockeyeurs du monde entier. «C’est pour cela que Bouchard a pensé à moi, parce que je suis très sociable et organisé, sourit celui qui a quinze ans de métier dans l’hôtellerie et dans une multinationale. Le but est d’implanter un centre comme aux Etats-Unis sur notre continent. Au début j’avais pensé à la Suisse, mais chez nous les démarches sont assez longues.»
Dans l’attente de trouver une clinique (sûrement à Lausanne) c’est finalement à Gouda, aux Pays-Bas, dans un centre de chiropractie qu’un équipement identique à Atlanta a été installé. «J’ai déjà passé deux semaines là-bas, en juin et septembre, où on a fait venir les meilleurs docteurs américains, confie le directeur des opérations. Tous les joueurs qui sont venus avec moi brillent à nouveau sur la glace. On leur a remis du jus dans les neurones!»
Un problème de vision
Claude Martinet a tout de suite été convaincu par cette thérapie. Il s’est mis à la place du joueur qui se lève le matin avec des maux de tête, qui doit mettre son casque et aller dans les bandes. Et de constater, hilare: «C’est fou le nombre de hockeyeurs en Suisse qui croient viser la lucarne et qui tirent à côté. Ils ignorent que leur cerveau est décalé. Ils sont persuadés de voir parfaitement mais après des examens spécifiques où on contrôle leur équilibre, leur vision n’est pas bonne. Un attaquant qui ne comprenait pas pourquoi il ratait autant ses tirs se remet à marquer aujourd’hui…» Et si c’était la raison pour laquelle les Servettiens ont perdu la tête devant la cage?
«Les yeux sont la fenêtre du cerveau»
Le patient se met sur une balance avec des lunettes spéciales et ferme les yeux. Tête en l’air, puis en bas. Très vite, il bascule en avant ou en arrière. Après avoir rempli un questionnaire, l’examen a commencé.
Contrôle des signes vitaux, prise de tension artérielle, à droite, à gauche, assis, debout, couché. «Suite au choc, l’information entre le cerveau et les pieds ne va plus aussi vite qu’avant, mais on voit rapidement où se situe la lésion et on répare», détaille Claude Martinet. Que ce soit à Gouda ou à Atlanta, le traitement est identique, le décalage horaire en moins. Trois séances de trente à nonante minutes sont prévues du premier au cinquième jour de la thérapie pour remettre sur pied le commotionné. «Comme les yeux sont la fenêtre du cerveau, il y a des mouvements oculaires d’électrostimulation et des exercices de coordination que l’on adapte en fonction de l’évolution et de la réaction du patient», explique notre interlocuteur, qui a également testé cette méthode. Comme ces exercices sur une chaise aux rotations variables. «Le réglage est très précis en fonction de la partie du cerveau à corriger», précise le Suisse.
Le médecin détecte très rapidement ce qui ne fonctionne pas et, au bout du troisième jour déjà, le patient remarque une nette amélioration. «Un jeune joueur de Fribourg qui avait reçu une mauvaise charge au début du mois de janvier a vécu l’enfer durant six mois avec des maux de tête épouvantables, raconte Claude Martinet. Il est venu aux Pays-Bas en juin et, au bout d’une semaine et demie, ses douleurs avaient disparu. Aujourd’hui, le garçon de 18 ans revit.»
Un plan d’entraînement est remis ensuite au sportif afin qu’il puisse poursuivre ses exercices à la maison. A lui d’être «sage» et de respecter ensuite les délais. Ceux qui ne l’ont pas fait sous la pression de leur coach, voire de leur propre initiative de peur de perdre leur place, ont parfois dû faire une croix sur leur carrière. Touchés à la tête en 2012, les ex-Servettiens Brian Pothier et Tony Salmelainen ne s’en sont jamais remis…
Arnaud Jacquemet touche du bois. Le Valaisan des Vernets n’a eu qu’une commotion dans sa carrière. Il jouait alors à Langnau. «Il manque dans mon cerveau une journée de ma vie, avoue-t-il. J’ai tout oublié de ce qui s’est passé ce jour-là. En revanche, je n’ai connu aucun problème avec la lumière. Il faut reconnaître cependant que c’est une blessure qui n’est pas prise assez au sérieux dans le milieu», estime le Servettien. L’attaquant, qui a fait la connaissance du fils de Jean Martinet cet été en jouant au inline, est prêt, à titre préventif, à passer un examen complet selon la méthode Carrick. D’ici là, qui sait, peut-être bien qu’il lèvera et baissera la tête sur une balance dans une clinique en Suisse…
Combien ça coûte?
Tout commence par un diagnostic de trois heures. Son coût: 950 francs. S’ajoutent ensuite les soins: 1000 francs par jour. Pour un traitement, il faut en compter cinq. Le séjour aux Pays-Bas? C’est 1500 francs pour le billet d’avion jusqu’à Amsterdam, le train pour rejoindre Gouda et l’hôtel pour cinq jours.
«Au début, c’est le joueur qui payait le traitement car le club estimait qu’il n’avait pas le budget pour cela, explique Claude Martinet. Mais c’est en train de changer. Aujourd’hui, la bonne nouvelle c’est que les assurances ont remboursé tout ou partie des frais médicaux pour les derniers joueurs que j’ai envoyés aux Etats-Unis ou aux Pays-Bas. C’est nouveau. Ils ont compris que la méthode fonctionne et que cela fait énormément baisser les coûts après la thérapie.»
Le coordinateur et directeur des opérations de la société Testmybrain envisage désormais, dans le cadre de la prévention, de procéder à un check-up en fin de saison dans chaque club de LN. Pour les joueurs de la première équipe et les juniors. «Pour les diagnostics, on est mobile, on peut pratiquer les examens dans la patinoire, précise-t-il. On peut contrôler dix joueurs par jour. Ensuite, à leur retour de vacances, ils sauront s’ils doivent se faire soigner ou non. Et puis, dès le moment où l’on possède les données d’un joueur, on peut le soigner plus rapidement.» Un sponsor pourrait financer cette opération, à moins que les assurances prennent aussi en charge cette prophylaxie.
Christian Maillard