Franc fou d'avoir été délaissé par ses coéquipiers une énième fois, Reto Berra a décidé de faire de même. Il a laissé son équipe dans son jus, vendredi soir à Berne. Et en un sens, on a envie de le comprendre. Lorsque l'on est systématiquement livré à soi-même par une équipe qui joue à l'envers depuis désormais huit matches, c'est humain de «dégoupiller».
Problème? Reto Berra est un leader de Fribourg Gottéron. Un des joueurs expérimentés censés tirer l'équipe vers l'avant. Mais vendredi soir, le gardien international en a eu assez. À défaut de dire «stop» aux attaquants adverse, il a tout simplement dit «stop».
Au-delà de cette scène forcément impressionnante et marquante, cela soulève un malaise sous-jacent. Cela fait plusieurs semaines que les échos en provenance de Fribourg ne sont pas bons. Vendredi passé à Kloten, tous les signaux avant-coureurs de la crise étaient déjà présents. En banlieue zurichoise, les entraîneurs ont été priés de patienter hors du vestiaire pendant que les joueurs faisaient un meeting pour «se dire les choses». Après cinq matches...
Le début de la révolte ou de la fin?
Parfois, il suffit de regarder les joueurs revenir au banc pour comprendre dans quel état se trouve une équipe. Et pas seulement Reto Berra qui en a juste été l'expression la plus tonitruante. Quid de Chris DiDomenico? Il semble traîner son spleen sur la glace. Son seul but de la saison: un 4-1 inutile alors que le match était déjà plié à Kloten. Mais le Canadien n'est, lui aussi, qu'un exemple parmi d'autres. C'est juste que, chez lui, toutes les émotions se voient plus que chez ses coéquipiers.
Fribourg Gottéron est aujourd'hui dans une crise. Ce n'est pas un mot que l'on dit à la légère. Surtout si tôt dans une saison. Mais ce mot est simplement là pour tenter d'expliquer le coup de sang de Reto Berra vendredi soir. Et désormais, le club a deux choix: se révolter rapidement ou tirer un trait sur la saison 2024/2025. Est-ce tôt pour dire cela le 5 octobre déjà? Peut-être. Mais c'est tôt pour avoir déjà eu droit à une réunion de crise entre les joueurs, de multiples changements de lignes et, surtout, Reto Berra qui montre au grand jour tout son malêtre actuel.
Vendredi soir, le gardien de Fribourg Gottéron a pris un risque. Soit on parlera de sa colère comme le moment où la saison des Dragons a tourné ou du début de la crise. Pour l'heure et de tout ce qui s'est passé depuis le début de saison, aucun élément n'accrédite la thèse du début de révolte.
Pour Gerd Zenhäusern, Pat Emond est toujours l'homme de la situation
Reto Berra qui pète les plombs alors qu'il vient d'encaisser le 5-1. Pat Emond qui ne souhaite pas se présenter devant les médias. Si ce n'est pas la crise à Fribourg, cela y ressemble grandement.
À Berne vendredi soir, les Dragons ont subi leur sixième défaite de la saison et s'enlisent un peu plus au classement. Pire, la manière à la Postfinance Arena n'y était pas. Les hommes de Pat Emond ont eu l'air abattu, la seule réaction étant venue de Reto Berra. Que se passe-t-il à Fribourg? En l'absence du coach, ne reste plus qu'à interroger Gerd Zenhäusern, le directeur sportif de Gottéron.
Gerd, qu'est-ce qu'on doit faire dans ces cas-là?
C'est difficile. Il n'y a pas grand-chose à dire après des matches comme ceux-là. Il doit y avoir une bonne réflexion de la part de tout le monde. Il y a eu une bonne intensité au deuxième tiers mais on a pris ensuite 3-4 buts d'affilée et les nerfs commencent à lâcher. C'est très tendu. Tout le monde est conscient de la situation et qu'on n'aimerait pas être où on est. L'équipe ne s'est pas dite grand-chose après le match. Le vestiaire est abattu après un match comme ça.
Tu penses que les joueurs ont pris conscience de la situation?
Oui.
On pensait que c'était déjà le cas vendredi passé, après Kloten…
C'est sûr. Il y a eu beaucoup de discussions entre-deux. Mais on sait dans ces cas-là qu'il y a un flagrant manque de confiance. Quand le but est vide, on ne met pas au fond. On fait des erreurs individuelles en zone neutre avec des revirements qu'on n'a pas l'habitude de voir. On voit qu'ils n'ont pas confiance.
Ce n'est que la confiance pour toi? Il n'y a pas aussi un problème dans l'organisation, avec des lignes qui changent constamment?
L'entraîneur a voulu changer les lignes pour équilibrer, du moment où les joueurs suisses n'ont pas marqué jusqu'à présent. Il a tenté de redonner un petit peu de vie. Ça n'a pas fonctionné ce soir. Le plan de jeu est clair, c'est noir sur blanc. On s'entraîne et on ne pense pas que les joueurs ne savent pas quoi faire.
Finalement, où sont les solutions? S'il y a un manque de confiance, il peut continuer indéfiniment.
La solution, c'est de gagner des matches. C'est un cercle vicieux. Tu as envie de bien faire et ça ne marche pas. Les jambes ne tournent pas. La tête est lourde. Il faut gagner, c'est tout. Quand tu es au fond du trou, tu peux chercher les solutions que tu veux mais tout est mauvais. C'est un moment creux pour nous et chacun doit se regarder dans la glace et se remettre en question.
Pat, ça reste l'homme de la situation pour toi?
Bien sûr.
Pour les joueurs aussi?
Ce ne sont pas les questions que je pose au groupe en ce moment. On a autre chose à faire. Chacun doit se poser les questions pour être plus performant. C'est facile de se chercher des excuses mais la volonté n'est pas là sur 60 minutes. Quand on court après le score, c'est plus difficile.
Est-ce que tu es inquiet ou tu te dis que les choses vont tourner?
On est toujours inquiet quand on perd – surtout quand on est dans une situation comme celle-là. Ce serait mal placé si on n'était pas inquiet.
On voit Reto Berra exploser en fin de match.
C'est un peu l'expression de la frustration qu'on a en ce moment.
Berra doit-il être sanctionné par Fribourg-Gottéron?
Le deuxième but de l'attaquant suédois des Ours a d'ailleurs fait complètement vriller Reto Berra. Fou de rage, le gardien fribourgeois a fracassé sa canne, avant de quitter la glace de lui-même. Un abandon de poste auquel a alors dû pallier son remplaçant, Bryan Rüegger.
Cette réaction du gardien international suisse de 37 ans, qui a assisté à la fin des débats depuis le banc de Gottéron avec le casque vissé sur la tête, mérite-t-elle une sanction à l'interne?
«Ce serait complètement contre-productif, estime Laurent Perroton. Car en montrant à tout le monde que le groupe ne défendait pas ensemble et qu'il ne formait pas une équipe, Reto Berra s'est mis dans une position où c'est désormais à lui de montrer l'exemple.»
Dès ce samedi soir (coup d'envoi à 19h45) à l'occasion de la réception à la BCF Arena du HC Davos. «S'il est aligné, je suis persuadé qu'il va faire un énorme match et que ses coéquipiers, vis-à-vis de Reto, vont également se bouger», poursuit le consultant de Léman Bleu et de Planète Hockey.
Ancien entraîneur de Forward Morges et du HCV Martigny, le technicien français aurait-il toutefois vraiment apprécié un tel comportement d'un de ses portiers?
«Il faut quand même recontextualiser: Reto Berra a un statut de joueur international passé par la NHL, souligne-t-il. S'il a pété un plomb, c'est parce qu'il a pris des goals en raison d'un manque d'implication défensive. Il a fait son travail, mais il n'a pas été aidé par ses partenaires. Résultat des courses: il est arrivé sur le banc, a brassé tout le monde en demandant si le cirque allait continuer encore longtemps. Derrière, il y a eu une réaction et Fribourg a marqué à deux reprises.»
«Il a voulu réveiller l'équipe et le coaching staff»
Laurent Perroton, qui rappelle que Reto Berra a rejoint la BCF Arena à l'été 2018 pour gagner des titres plutôt que pour jouer les derniers rôles, voit dans la réaction du portier fribourgeois une vraie forme de leadership.
«Il n'en peut plus de voir son équipe être molle et ronronnante, lance le coach tricolore. Il a pris cette décision de quitter la glace car il n'était plus en état mental de jouer tellement il était énervé, mais aussi parce que rien ne se passait sur le banc. Il a voulu réveiller l'équipe et le coaching staff pour la suite de la saison. De l'extérieur, ça peut être un terrible signal pour Pat Emond, mais il l'a aussi peut-être sauvé.»
Premiers éléments de réponse ce samedi soir face au «Rekordmeister». Avec ou sans Reto Berra devant les filets fribourgeois?
Grégory Beaud