Il y a presque un an – le 27 mai 2024 précisément –, Christian Dubé, encore sous contrat pour une saison, apprenait son licenciement de Fribourg-Gottéron. Sous le choc, l’entraîneur québécois a eu de la peine à accepter cette décision. Beaucoup de peine. Douze mois plus tard, il semble enfin prêt à tourner la page. Pas à pardonner.
Durant près de deux heures, il a accepté de faire le point sur sa situation. Avec un double expresso, sans sucre, sans crème et sans chocolat – l’ancien sportif a gardé sa rigueur –, celui qui a passé les 14 dernières années à Fribourg, comme joueur d’abord, puis comme directeur sportif et entraîneur, est revenu sur le passé, mais il a surtout parlé de son présent et de ses enfants, Liam et Sky. Son avenir, lui, reste flou.
Vous aviez participé au podcast de La Liberté en septembre dernier. Depuis, nous ne nous sommes plus parlé. La première question est simple, basique même. Comment allez-vous?
Tranquillement. Sur le plan mental, j’ai vécu une année très difficile. Je suis passé d’un travail à 500% à rien du tout. Je me suis retrouvé dans un trou noir, une sorte de dépression. Mes enfants ont continué à jouer à Fribourg, mais c’était difficile d’aller les amener à la patinoire, difficile aussi de croiser des gens. Même s’ils étaient extrêmement gentils avec moi, ils me posaient toujours les mêmes questions et tout me ramenait à Gottéron.
Pourquoi votre licenciement a-t-il été aussi rude à encaisser?
Je n’ai pas accepté cette interview pour faire un procès sur la place publique. J’ai vécu des années extraordinaires à Fribourg et j’en suis très reconnaissant. J’ai été très déçu de la manière dont j’ai été congédié parce qu’il n’y a eu aucune cohérence. Après les play-off, on a mené des meetings et des discussions pour préparer la saison suivante, et au mois de mai, sans prévenir, on m’a licencié!
On sent que la méthode vous a fortement déplu. Etes-vous encore fâché?
Je suis une personne très rancunière. Que des personnes que j’apprécie, des amis, puissent me faire ça, j’ai de la peine à l’accepter. C’est une question de respect.
Comment avez-vous suivi la saison écoulée?
Je n’ai pas été beaucoup à la patinoire. Je n’ai assisté à aucun match. J’étais dégoûté du hockey. Ecœuré. C’est comme une peine d’amour. On aimerait passer à autre chose, mais quand on revoit chaque jour la personne, c’est comme si à chaque fois on recevait un couteau dans le dos.
Avez-vous pensé à quitter Fribourg?
Non, parce que notre vie est ici. Mes enfants jouaient à Gottéron. Je suis un papa poule. Je ne voulais pas les abandonner.
La saison a été douloureuse pour vous. Elle l’a aussi été pour Gottéron durant l’automne. Comment avez-vous vécu cette période?
J’ai d’abord été très surpris des mauvais résultats de Gottéron. C’était un sentiment étrange, doux-amer. D’un côté, je me disais: «Ils n’ont que ce qu’ils méritent» et de l’autre, j’étais triste pour le staff et les joueurs que j’ai côtoyés toutes ces années.
La suite, avec la conquête de la Coupe Spengler et la remontada, a aussi dû vous surprendre, non?
Le réveil m’a surpris, pas la fin de saison. Le potentiel était là et les résultats ont montré que je n’étais pas à côté de la plaque. Depuis Noël, Fribourg était la meilleure équipe du pays. Chapeau à Marcus (Sörensen, ndlr), Reto (Berra), Walli (Lucas Wallmark) et Sandro (Schmid) qui ont porté l’équipe. Lars (Leuenberger, le coach) a bien géré le groupe. En play-off, je pensais même que Fribourg allait atteindre la finale…
Qu’est-ce qu’il manque encore à Gottéron pour décrocher le titre?
Plus de profondeur et plus de qualité. Il faudrait 7 étrangers dès le départ, 15 attaquants et des jeunes d’un bon niveau pour amener de la concurrence. Et aussi un meilleur système de formation.
Pour en revenir à vous, comment voyez-vous la suite?
Je suis ouvert à plein de choses.
Avez-vous reçu des propositions pour entraîner?
Il y a eu quelques discussions. Durant la saison écoulée, j’ai même reçu une offre mais je ne pouvais pas l’accepter. Je ne me sentais pas prêt. Et le projet ne me correspondait pas.
Et aujourd’hui?
Je vais beaucoup mieux. Je suis content de revivre. De sortir de chez moi, de venir boire un café comme ce matin.
Et de retrouver bientôt un job?
Je ne suis pas un coach «normal», carré comme peuvent l’être certains. J’ai toujours dit ce que je pensais et aujourd’hui, tu dois faire attention à tout. Je n’aime pas le monde dans lequel on vit, où tout est faux, tout est mal interprété. Je crois que mon caractère et ma personnalité ne fonctionneraient pas avec tous les clubs…
Il n’y a pas que la Suisse. Un retour au Canada, une expérience à l’étranger, qu’est-ce qui vous tente le plus?
Cela dépendra des décisions que nous prendrons avec les enfants. Aujourd’hui, ce sont eux qui ont la priorité.
On vous sent assez passif…
On dit que le temps fait bien les choses. Tout a été tellement intense ces dernières années que je laisse les options venir à moi. Je pourrais coacher des jeunes, proposer des entraînements individuels, etc. Cela dépendra des opportunités.
Y compris en dehors du hockey?
Je m’intéresse beaucoup à la finance. J’adore acheter, revendre, investir. Le monde du luxe est captivant. Quand le monde va moins bien, des objets rares deviennent très demandés. C’est fascinant.
Vous avez bien gagné votre vie durant votre carrière. Pourriez-vous ne plus travailler du tout?
Je ne vais pas rester pendant dix ans à la maison, mais aujourd’hui, tous les clubs ont leur coach pour la saison à venir. On verra en cours de saison prochaine. A moi de trouver mon chemin.
Permettez-nous d’être un peu plus directs pour finir cette interview. Mais où vous voyez-vous dans une année?
Aucune idée.
Est-ce que vous coacherez?
Aucune idée.
En avez-vous seulement envie?
Il faut que le projet soit bon.
La seule certitude, c’est qu’entre Christian Dubé et Gottéron, l’histoire est officiellement terminée.
On ne sait jamais ce qui peut arriver. Dans quelques années, avec d’autres personnes… J’adore Fribourg, j’y vis et j’ai passé 14 années extraordinaires! J’ai eu de la chance et j’en suis reconnaissant. Mes premières années ont été difficiles. Mais quand on voit où se trouve Gottéron aujourd’hui, on peut dire que, malgré quelques erreurs, le job qui a été fait était correct. Je suis très fier de ce que j’ai accompli depuis mon arrivée.
Sur l’arrivée de Roger Rönnberg: «Gottéron n’est pas Frölunda»
Les interrogations sont toujours nombreuses avant une saison. La prochaine de Gottéron, avec l’arrivée de Roger Rönnberg, ne dérogera pas à la règle, selon Christian Dubé.
Lors de la première interview qu’il a accordée à son arrivée à Fribourg, Roger Rönnberg, le nouvel entraîneur des Dragons, a dévoilé qu’il comptait inviter Christian Dubé pour un repas. «J’aimerais le remercier de vive voix pour tout le travail qu’il a accompli pour le club», avait expliqué le Suédois. Le Québécois est-il prêt à s’entretenir avec son successeur?
«Pourquoi pas? Je l’ai déjà rencontré par le passé. C’est une personne intelligente, un grand coach, très exigeant. Avec lui, tu sais vite s’il t’aime ou pas», dévoile Christian Dubé, qui se garde bien de tout pronostic pour la saison prochaine. «Il y a beaucoup de questions en suspens. Des joueurs importants, sur la glace et dans le vestiaire, comme Ryan Gunderson, Raphael Diaz et Dave Sutter, sont partis. Comment seront-ils remplacés? Des joueurs ont performé cette saison, feront-ils aussi bien la saison prochaine? D’autres seront-ils capables de prendre le relais?» s’interroge l’ancien entraîneur.
Roger Rönnberg devra aussi s’acclimater pour bien négocier le passage de la Suède à la Suisse. «Gottéron n’est pas Frölunda, avertit Christian Dubé. Je ne le dis pas négativement, mais la mentalité des joueurs est tout autre. En Suède, comme en Amérique du Nord, tes 25 joueurs savent qu’il y en a 50 derrière qui sont prêts à prendre leur place. En Suisse, ce n’est pas la même réalité. Il n’y a qu’à voir chez les jeunes. Dès que tu es bon, le club te met sur un piédestal parce qu’il a peur de te perdre. En Suède, un jeune qui a trois heures de bus à faire pour rejoindre un meilleur programme n’hésitera pas une seconde…»
Plus aucun lien avec Gottéron
Jusqu’au 30 avril dernier, Christian Dubé était salarié de Fribourg-Gottéron. Désormais, il est entraîneur de… ses enfants. Dragons lors de la saison écoulée, Liam (17 ans) et Sky (14 ans) vont quitter le club fribourgeois. «Ils ne peuvent pas faire la préparation estivale avec Gottéron, alors je leur ai concocté un programme. Ils sont demandeurs et moi, j’ai toujours mis l’accent sur cette préparation physique», explique le paternel.
Le menu? «On va souvent au stade Saint-Léonard pour courir et monter les escaliers. J’ai aussi acheté des poids et des appareils pour la maison. On s’entraîne les trois ensemble. Question force, j’ai encore le dessus, mais sur le cardio, je suis derrière. Je n’arrive plus à suivre», sourit celui qui a fêté ses 48 ans le 25 avril dernier.
Alors que Sky rejoindra «un autre club suisse» avec lequel il s’est engagé sur plusieurs saisons, Liam, qui a remporté la médaille d’or avec la Suisse lors du Festival olympique de la jeunesse européenne (FOJE) en février dernier en Géorgie, poursuivra sa carrière à l’étranger. Soit aux Remparts de Québec dans la Ligue junior Maritimes Québec (LHJMQ), soit en Suède. «Liam n’avait pas été retenu par Québec l’an dernier», rappelle Christian Dubé, qui envisage une autre option. «Nous sommes allés visiter les installations de Rögle et HV71 en Suède ces derniers jours. C’est vraiment impressionnant tout ce que les Suédois mettent en place pour la formation. Nous allons prendre une décision ces prochaines semaines.»
14 ans et plein de souvenirs: de la signature de Cervenka à la qualification pour les play-off
Arrivé à Fribourg en 2011 en provenance du CP Berne, Christian Dubé a d’abord joué (4 saisons avec une finale en 2013), avant d’endosser le rôle de directeur sportif, puis celui d’entraîneur. Quatorze ans au total qui lui ont laissé beaucoup de bons souvenirs. Un cheminement dont il est aujourd’hui «très fier».
«Quand j’étais directeur sportif, les moments forts étaient les signatures des joueurs. Je suis heureux d’avoir pu faire venir des joueurs comme Cervenka, Berra, Gunderson, Desharnais, Wallmark et Sörensen à Fribourg», réagit le Québécois qui n’a pas ménagé ses efforts pour convaincre ces joueurs de rejoindre les bords de la Sarine. «Je me souviens que Cervenka m’avait dit: «Je signe à Fribourg parce que tu es le seul directeur sportif à t’être déplacé jusqu’à Prague pour me rencontrer.» C’était une belle satisfaction», se remémore-t-il.
Derrière le banc de Gottéron, Christian Dubé se souvient aussi de la qualification pour les play-off arrachée à Berne en 2020, juste avant le Covid, quelques mois après le licenciement de Mark French. La rénovation de la patinoire l’a aussi marqué. Avec un épisode mémorable vécu par le Suédois Viktor Stalberg. «Les conditions étaient difficiles. Un jour, Viktor, fâché, est venu vers moi: «J’adore Fribourg, mais tu m’as bien eu avec ces travaux!» Après ses explications, j’ai compris qu’il avait dû retourner à pied chez lui pour aller aux toilettes qui étaient inutilisables à la patinoire… Dans ces cas, il n’est pas facile de motiver les joueurs et de leur demander de se donner à 100% sur la glace», raconte l’ancien coach.
Pas facile tous les jours, le poste d’entraîneur reste celui qui a le plus fait vibrer Christian Dubé. «C’est du travail au quotidien. Il y a le contact avec les joueurs. Et les émotions des victoires acquises devant les fans. C’est très intense!»
François Rossier