"Sous un maillot qui se porte avec fierté, si tu le portes; il faudra le mouiller !" Fan's Club Fribourg Gottéron

25 février 2016

Fribourg-Gottéron: cœurs de bénévoles


Le hockey, c’est l’opium des Suisses. Les patinoires, leur temple. Les gladiateurs de la glace, des dieux vivants. Mais dans l'ombre des stars, une foule d'anonymes donnent leur temps pour presque rien. Par amour du sport et du spectacle. Rencontre avec les petites mains de Fribourg-Gottéron.

Contrôle des billets avant l’accès aux tribunes.
Pierre-Yves Masso


Ils sont les petits rouages d’une grosse machine. Dans les couloirs en béton de la patinoire de Fribourg, ils vous surveillent, vous contrôlent, vous indiquent votre place dans les gradins souvent surchargés, vous guident sur le parking…

Quand le coup d’envoi approche, les 130 bénévoles du Hockey Club Fribourg-Gottéron (HCFG) s’agitent en coulisse. Au bord de la glace, Jean-Roger Gilot, 60 ans dont 25 de bénévolat, ouvre deux grandes portes coulissantes. L’énorme tête de dragon s’avance dans l’arène, les joueurs s’y engouffrent. Le show peut commencer.

La tête de dragon attend de faire son entrée sur la glace, avant le coup d’envoi.
Pierre-Yves Massot


Une rencontre de hockey, c’est une heure de jeu mais cinq heures de travail pour les bénévoles. Avant le coup d’envoi, ils fument, bavardent, refont le dernier match. «C’est comme une deuxième famille», confie Loïc Cogné, 29 ans, qui garde l’une des entrées de la patinoire située dans la banlieue de Fribourg.

Une famille qui se réunit chaque semaine, au rythme des matchs de l’élite du hockey suisse. A la fin de la partie, tous reviennent au vestiaire, déposent leur veste jaune et touchent une compensation de 30 francs versée par le club pour couvrir les éventuels frais de déplacement. Une somme qui permet d’arrondir certaines fins de mois.

Certains bénévoles ont la chance de travailler au bord de la patinoire, au plus près de l’action.
Pierre-Yves Massot


«On vit l’ambiance et les émotions en même temps que les spectateurs», se réjouit Patricia Rossier, petite main depuis trois ans. Comme elle, beaucoup de «vestes jaunes» soutenaient les «Dragons» dans les tribunes avant de donner un coup de main.

Loïc Cogné, lui, a sauté le pas il y a dix ans: «En tant que bénévole, on crée un lien avec le public, on connaît les habitués, on est là en cas de problème.» La BCF Arena, antre du HCFG, affiche un taux de remplissage de près de 100%, soit 6’700 personnes par match.



«Une deuxième famille»

Jean-Roger Gilot, surveillant en bord de patinoire

S’il existait un musée consacré à l’histoire de Gottéron, Jean-Roger Gilot pourrait en être le conservateur. En 25 ans de bénévolat, ce sexagénaire a accumulé des dizaines de souvenirs aux couleurs du club sur les étagères de son appartement, situé dans un petit immeuble gris de Villars-sur-Glâne, à deux pas de Fribourg. Comme cette veste en jean couverte d’écussons brodés par sa femme ou la grande cloche qui arbore le dragon-mascotte du club, posée non loin de la cage où piaillent un petit groupe de perruches.

Recruté au début des années 1990, il est fier d’avoir côtoyé l’une des légendes du club, le russe Slava Bykov. Aujourd’hui, Jean-Roger Gilot est toujours là et continue de serrer la main de son idole – désormais membre de l’équipe dirigeante – quand celui-ci passe le voir à la «porte du dragon». Au chômage depuis cinq ans, Jean-Roger a trouvé chez les «vestes jaunes» plus qu’un passe-temps: une «deuxième famille».






Contrôle des spectateurs aux abords de la tribune visiteurs.
Pierre-Yves Massot


A chaque match, la patinoire de Fribourg affiche presque complet.
Pierre-Yves Massot


«Donner quelque chose», voilà la motivation des petites mains du club. Si ces derniers se félicitent de l’ambiance détendue de la patinoire, le grabuge n’est jamais loin. En témoigne les jets de bière qui atterrissent régulièrement sur la veste de Jean-Roger Gilot, ou les relents de gaz lacrymogène qui, une fois, ont provoqué quelques malaises dans la tribune de Patricia Rossier.

Comme le rappelle cette dernière, «on a une responsabilité envers les spectateurs». En cas de problème sérieux, une équipe d’une dizaine de vigiles professionnels – les «vestes noires» – se tient prête à intervenir. Eux seuls ont le droit d’expulser les spectateurs les plus excités.


«Faut faire plaisir aux autres»

 Michael Lehner, photographe officiel du club

Debout derrière le Plexiglas qui borde la glace, muni de son dossard «presse» et de son appareil, Michael Lehner, 37 ans, ressemble à tous les autres photographes sportifs. Sauf qu’il ne gagne pas sa vie en immortalisant les hockeyeurs. Quand il faut «payer le loyer et la nourriture», il repose l’appareil et travaille comme agent de sécurité.

Ce bénévole sans veste jaune ne touche pas de compensation financière pour ses clichés. Dans sa maison du quartier du Schoenberg, sur les hauteurs de Fribourg, de l’autre côté de la Sarine, Michael Lehner explique d’un ton calme que le hockey, comme la photo, ne sont que de «simples passions» qui prennent beaucoup de place dans sa vie.

Pour lui, c’est déjà une victoire d’être devenu le photographe officiel de son club de cœur: «Je croyais que c’était réservé aux professionnels.»






A l’intérieur de la tête de dragon qui, avant chaque match, recrache les joueurs du HCFG sur la glace.
Pierre-Yves Massot


Les bénévoles qui travaillent sur les parkings se préparent à affronter le froid.
Pierre-Yves Masso


Pour pénétrer sur la glace, les hockeyeurs traversent ce couloir rougeoyant. Nous sommes à l’intérieur de la tête de dragon. Avoir accès à ces coulisses est souvent considéré comme un privilège par les bénévoles.

«C’est toujours un plaisir de serrer la main des joueurs qui passent par là, confie Jean-Roger Gilot. On peut échanger quelques mots, savoir comment ils vont.» Après avoir connu cette «autre vision du hockey, impossible de revenir dans les tribunes», certifie Loïc Cogné.

Tous les bénévoles ne travaillent pas dans la patinoire. Quelques «vestes jaunes» sont chargées d’orienter les voitures sur les parkings… Pour eux, le travail commence et termine plus tôt.

Ces horaires décalés leur permettent d’aller regarder la fin du match depuis le bord de la patinoire, à côté des photographes et des caméras de télévision. «Notre récompense, après être restés debout dans le froid plusieurs heures.»


«On oublie tout le reste»

Patricia Rossier, placeuse et surveillante en tribune

Dans les travées de la patinoire, on reconnaît Patricia Rossier au cœur rouge brodé au dos de sa veste en jean. «Dans ma jeunesse, on allait voir Gottéron à l’ancienne patinoire des Augustins, un lieu mythique», raconte-t-elle. Cette secrétaire avait 12 ans quand elle a découvert les Dragons. Près de quarante ans plus tard, son amour pour le club est intact.

«Je m’embêtais, les soirées d’hiver à la maison, devant la télévision, à regarder toujours les mêmes séries vieilles de quinze ans…» Comme souvent, le bouche-à-oreille a fonctionné: «J’ai appris qu’ils cherchaient du monde à Gottéron, alors je me suis dit pourquoi pas moi!»

Comme les autres «vestes jaunes», Patricia Rossier s’est vite intégrée. «Ici, à Fribourg, tout le monde se connaît, lâche-t-elle entre deux cigarettes. Quand je croise un supporter ou un bénévole dans un bar ou un restaurant, on peut parler une heure, deux heures, parfois toute une soirée!»





Duel entre Fribourg et Lugano. 
Pierre-Yves Massot



Pause cigarette entre deux tiers-temps. C’est à ce moment que l’activité des bénévoles est la plus intense. Pierre-Yves Massot


Pas facile de rester neutre quand on est une «veste jaune» qui assiste au match aux premières loges. Jean-Roger Gilot concède que, parfois, il lâcherait «bien un juron quand Gottéron joue mal». Quant à Patricia Rossier, elle confesse volontiers son «chauvinisme». Tous affirment cependant rester «pro» aux yeux du public.


«Qu’ils perdent ou qu’ils gagnent, on sera là»

Loïc Cogné, contrôleur d’un accès à la patinoire

Les murs de son appartement de Marly, près de Fribourg, sont couverts d’écussons d’équipes différentes. Loïc Cogné, 29 ans, raconte avec un débit de mitraillette avoir été fan de foot avant de découvrir le hockey à l’âge de quinze ans, «de fil en aiguille, à force d’en parler avec des amis». La suite est plutôt classique: «Je connaissais quelqu’un qui bossait à Gottéron, qui m’a proposé de venir, et je n’ai jamais arrêté.»

Aujourd’hui encore, en voyant ce public chanter, même dans la défaite, Loïc a toujours le «frisson». Chaque année, il est aussi bénévole dans une dizaine de festivals. Presque un deuxième métier pour cet employé d’une usine de conditionnement, à tel point qu’il a fini l’année 2014 en burn out… 

«Mais je ne regrette pas, ce sont des moments où l’on quitte la vie habituelle.»





Interview d’après match. Dans les coulisses de la patinoire, bénévoles et joueurs se croisent régulièrement. 
Pierre-Yves Massot


Augustin, le dragon mascotte du club, nommé ainsi en l’honneur de l’ancienne patinoire du HCFG, 
chauffe la foule avant le coup d’envoi.
Pierre-Yves Massot


Les dernières recrues du club sont souvent présentes aux banquets de fin d’année du HCFG. L’occasion pour les bénévoles de faire leur connaissance. Dirigeants, joueurs, «vestes jaunes», «on est tous à la même table, les riches comme les pauvres, les célébrités comme les anonymes», relève Patricia Rossier.

Comme l’explique Jean-Roger Gillot, un peu ému: «Ça fait chaud au cœur de voir les supporters, les dirigeants compter sur nous et nous respecter pour notre travail.»

Cette reconnaissance est souvent considérée comme la première des récompenses. A choisir, Patricia Rossier préfère d’ailleurs ne pas être payée pour épauler son club de cœur, car «on perdrait ce lien avec le public». Michael Lehner, lui, préfère «presque que ça reste un hobby», même s’il ne refuserait pas une petite rémunération pour ses photos.

MATTHIEU JUBLIN
PIERRE-YVES MASSOT