"Sous un maillot qui se porte avec fierté, si tu le portes; il faudra le mouiller !" Fan's Club Fribourg Gottéron

21 février 2017

Jean Lussier, l’oubli historique


"Match à rebours" est une chronique tenue par les journalistes de la rédaction de Teleclub (ci-dessus, Philippe Ducarroz) qui décident de rebattre les cartes et de revenir sur un événement sportif marquant. Un ton résolument décalé ou engagé pour vous faire voir le jeu autrement. 
Photo: Teleclub / Jean Lussier par Wikimedia > cc Fanny Schertzer



La culture nord-américaine a parfois du bon. Celle qui, par exemple, essaie de se créer une Histoire avec un grand H. Ce fameux passé qui manque tellement à un territoire développant un complexe européen. Et le monde sportif n’est pas le dernier à apporter sa touche historique. Le moindre événement semble même prétexte à inventer l’émoi qui sera dûment analysé, répertorié et… fêté.




C’est comme ça que vous créez votre fond de commerce, ce fameux «memorabilia» que les Américains apprêtent à toutes les sauces. La mémoire collective ayant ses limites, ça n’a jamais fait de mal à personne. En Suisse, ça balbutie un peu. Un exemple? Ce samedi, FR Gottéron retirera les maillots de Beni Plüss et Shawn Heins. Nous en serons donc à huit pour un club qui n’a jamais rien gagné. A part un titre de LNB…

De vrais critères, svp!

Un numéro de maillot, ça ne se brade pas. On l’a bien compris dans certaines organisation qui se targuent – à juste titre – d’apporter une touche de professionnalisme dans un milieu qui fonctionne toujours beaucoup sur la bonne volonté de personnes peu au fait des affaires du hockey en général.

Ainsi le SCB, champion de Suisse en titre, ne retirera pourtant jamais le chandail d’un joueur emblématique comme celui de Martin Plüss. Tout simplement parce qu’il ne remplit pas tous les critères exigés (club d’origine, nombre de titres, sélections, etc.).

A Fribourg, le maillot de son frère Beni sera par contre suspendu sans autre critère particulier que celui de sa longévité à la BCF Arena. Comme ce fut le cas pour Hofstetter, Rottaris ou Marquis. Comme bientôt pour Heins en mémoire de ses coups de gueule. Montandon, lui, a été honoré après avoir fêté ses titres avec… Berne!

Les joueurs d’impact, à Fribourg, ont été finalement peu nombreux. Ces fameux «franchise players» qui ont su, de par leurs performances mais aussi leur aura, radicalement changer la vie, l’histoire, le devenir du club. Les deux derniers? Evidemment les Spoutniks Bykov et Khomutov. Aux côtés des numéros 90 et 91, un troisième chandail y a sa place.



Bienvenue à Cowansville!

Vous avez l’occasion de vous rendre dans la région de Montréal? Faites un détour par Cowansville. Ce n’est pas loin et le facteur de la bourgade en hiver est aussi un des responsables du golf durant l’été. Dans un passé pas si lointain, il hantait encore les nuits de tous les… gardiens de hockey de Suisse.

Quand on dit «pas si lointain», entendez tout de même il y a plus de 30 ans. Mais là-bas, les gens s’en souviennent. Et continuent d’honorer celui qui fut leur star locale le temps de sa carrière européenne: Jean Lussier. Dans le pub du coin trône un maillot floqué du célèbre No 16 aux côtés des oriflammes des meilleurs clubs de NHL. Vous y débarquez avec «Grand’Jean» en garde du corps et tout le monde vient vous taper sur l’épaule.

Bref, à Cowansville, on sait qui est Jean Lussier. Et à Fribourg? «Joueur d’une autre génération» diront les moins ignorants, «C’est qui?» m’a chuchoté l’ado pourtant porteur de la tunique des Dragons.

Le 16, un symbole



Et c’est bien là que le bât blesse. Comment est-il possible que le joueur ayant le plus marqué l’histoire de Gottéron, l’homme de la promotion en LNA avec les Lüdi, Raemy, Rotzetter, Meuwly et consort n’ait pas suscité plus qu’un intérêt poli lorsque nous évoquions avec d’anciens dirigeants son rôle incontestable dans le développement de l’organisation.

Un club qui, ceci dit en passant, a trouvé le moyen – il y a quelques années - de réattribuer un numéro qui avait été retiré auparavant. Heureusement, ça n’a pas duré longtemps.

Aujourd’hui, pour que justice sportive soit rendue, il faut retirer le No 16 des rangs de Gottéron et le suspendre sous le toit de cette vieille patinoire de Saint-Léonard qui a aussi vécu les adieux du Canadien.

Des milliers de Fribourgeois, en pleurs, s’étaient donnés rendez-vous pour remercier Lussier. Jean Lussier, le plus modeste des hockeyeurs ayant évolué en Suisse, n’osera jamais rêver d’une telle consécration. Il le devrait pourtant, depuis sa salle à manger de Cowansville où trônent Poya et photos de sa ville de cœur: Fribourg!

Philippe Ducarroz