Jakob Lüdi, Roland Jeckelmann et Jean Lussier (de g. à dr.), joueurs de Gottéron en 1980
Cela s'était passé le 4 mars 1980. Ce soir-là, dans l’atmosphère euphorique des Augustins, Gottéron avait réduit Zurich à un statut de sparring-partner (6-0) et célébré sa promotion en LNA.
Cela s'était passé il y a 40 ans pile-poil. Mais, pour Jean Lussier, l’un des héros de cette fabuleuse aventure, c'était hier. Ou presque. «Je crois bien que je me souviens de chaque détail de cette journée exceptionnelle, raconte le Québécois qui avait le don de rendre une rondelle intelligente. Les mots de la théorie de notre entraîneur Gaston Pelletier nous avait touché au coeur. Il nous avait dit que nous avions une chance de marquer l’histoire, que cette chance ne passerait probablement pas deux fois, qu’il fallait la saisir, là, maintenant.» «Grand Jean» visualise encore les faciès des Zurichois, présumés supérieurs, mais tétanisés par le récital d’une équipe qui en était vraiment une. «Ah, ce noyau de la Basse-Ville, lâche Lussier, la voix tremblotante en songeant à l’épisode le plus émotif d’une carrière pourtant riche en satisfactions. Ouais, je crois bien qu’on était la définition parfaite du mot «équipe».»
Fiers d’avoir marqué l’histoire
Jean Lussier (66 ans) s’est posé mardi matin en Suisse. Mercredi soir, même s’il ne chaussera pas ses patins, il sera présent au Lac Noir où les acteurs de cette promotion enfileront leur maillot dans lequel ils se sentiront peut-être un peu à l’étroit, mais tellement fiers. «Bien sûr, nous sommes fiers d’avoir marqué l’histoire», glisse Lussier. Fiers d’avoir posé Gottéron sur la carte du plus haut niveau du hockey suisse. Fiers que d’autres aient su prendre soin de cet extraordinaire héritage. Gottéron, club auquel un «Fribourg» a été accolé depuis, est le club établi depuis le plus longtemps en LNA devenue National League.
«C’est probablement ce qui me fait le plus de plaisir aujourd’hui, reprend Lussier. Cette promotion n’était en fait que le début d’une merveilleuse aventure.» A quelques kilomètres de chez lui, à Cowansville où il travaille encore trois heures par jour au bureau de poste, le slogan du Canadien de Montréal est une ode aux anciens: «Nos bras meurtris vous tendent le flambeau. À vous de le porter bien haut.» Un adage qui aurait pu être écrit par les Lüdi, Rotzetter, Raemy, Meuwly et Lüthi un soir de relâche autour de quelques Cardinal. «Vous savez quoi, questionne Lussier? Chaque année, le 4 mars, j’y pense. C’est comme si je fêtais une deuxième fois mon anniversaire dans l’année.»
Il y aura d’autres larmes
Il y a deux mois, quand il est rentré chez lui après avoir quitté le guichet postal, il avait entendu la voix de Jakob Lüdi sur son répondeur. «J’ai eu peur, il avait le timbre d’une personne qui n’allait pas bien. Alors je l’ai tout de suite rappelé. Et je m’étais bien planté (rires): Jakob allait très bien et il voulait m’inviter pour les 40 ans.» Emu: «J’ai dit à mon épouse que j’allais prendre des vacances et m’y rendre.» Il reprend: «J’ai eu la chance de connaître le succès dans la carrière de joueur et d’entraîneur. La promotion en LNA avec Lausanne en 1995, c’était énorme. Mais ce n’était quand même pas Gottéron. Que voulez-vous, une partie de mon cœur est ici, à Fribourg.»
Jean Lussier n’a plus jamais entraîné depuis qu’il a été congédié par le LHC lors d’une saison 1995-1996 particulièrement éprouvante derrière le banc d’une formation mal formée. Plus la force, plus l’envie. «Mais il ne se passe pas un jour sans que je suive l’actualité du championnat suisse.» Il ne bluffe pas. Et, pour l’attester, il nous dresse un panorama sans failles de la situation. «En fait, il n’y a qu’une chose qui me chagrine. Je me réjouissais d’assister à quelques matches de play-off. Mais, à cause du virus, c’est râpé.» Mais, assurément, il reviendra. «A chaque fois, c’est pareil. Quand j’arrive, j’ai le sourire. Et quand je vais devoir partir, il y aura quelques larmes.»
Emmanuel Favre