Ce Louis n’est pas n’importe quel fan, puisqu’il s’agit du fils de Julien Sprunger. Mais pas que: «Il est assistant chef matériel, mais surtout à l’extérieur. Lorsque nous jouons à la maison, il est 100% fan, dans les places debout avec ses copains», sourit le capitaine de Fribourg-Gottéron, tout heureux de partager les derniers instants de sa carrière au plus près de l’aîné de ses trois enfants. «Ce sont des moments extraordinaires rendus possibles par le fait que j’ai eu Louis à 24 ans. Mes deux petits rêveraient d’être à sa place, mais ils sont encore un peu jeunes.»
«Pas une taupe»
Né en 2010 d’un premier mariage, Louis Sprunger a été bercé par les exploits de son géniteur. «Il me prenait dans ses bras sur la glace. Je vois encore l’ancienne patinoire, avec ses sièges verts et jaunes», se souvient l’ado, adoubé par les coéquipiers du No 86 – «J’ai encore l’image de Greg Mauldin le portant sur ses épaules à la Saint-Nicolas» – de même que par le staff. Ancien chef matériel de Gottéron, Olivier Sugnaux a pris Louis sous son aile jusqu’à faire naître en lui une vocation. Les coups de main spontanés les jours fériés et les week-ends ont abouti sur un vrai petit job d’étudiant. «Je mets en place les casques, remplis les gourdes, sèche les gants ou fais des lessives. Une fois, j’ai même pu aiguiser tes patins», s’exclame l’apprenti «chef mat» en tournant le regard vers son attaquant de père.
La fin de carrière de ce dernier, officialisée plus tôt ce mois-ci, n’entraînera pas nécessairement celle du «petit» Sprunger, qui possède déjà sa page eliteprospect (le site de référence des hockeyeurs). «C’est un point qui n’a pas encore été discuté. Si je reste dans le club d’une manière ou d’une autre, il n’est pas inconcevable qu’il continue. Un coup de main est toujours bienvenu.»
A terme, Louis rêve d’en faire son métier. «Mais il doit d’abord trouver une autre voie, car tous les chefs matériel ont une formation», rappelle sagement le paternel. En troisième année secondaire, l’élève multiplie les stages à la recherche d’un apprentissage taillé pour lui. «Je ne sais pas encore ce que je veux faire», murmure l’intéressé, jamais aussi épanoui qu’au contact des Marcus Sörensen, Sandro Schmid ou Reto Berra. Immergé dans l’intimité des Dragons quand il n’a pas l’école, le stagiaire a appris à tenir sa langue. «Ce n’est pas une taupe, mais il sait garder un secret», assure Julien Sprunger. Louis, toujours bien informé, abonde: «La seule chose que je dis à mes copains, c’est qui joue ou qui ne joue pas.»
Il va de soi qu’il a su en primeur le départ à la retraite de la superstar du canton. La première pensée qui lui a traversé la tête lorsqu’il a appris la nouvelle? «Qu’il faudra payer les billets pour les matches à domicile la saison prochaine», se marre Louis, aussi réservé dans la vie que taquin avec son daron.
Peut-on imaginer un nouveau duo de chefs matériel père-fils à Gottéron, comme l’avaient été Olivier Sugnaux et son fils Yohan? Impossible, répond Julien Sprunger, qui ne marchera pas sur les traces de Beat Gerber: «Comme déjà dit, je ne compte pas rester dans le domaine sportif. Cela dit, j’ai un profond respect pour la fonction. Un chef mat, c’est tellement important dans une équipe. Il y a ce côté «nounou» que j’adore. Je trouve génial que ça soit le rêve de Louis.»
Privé de patinoire!
Une fois à la patinoire, chacun joue sa partition sans vraiment se soucier de l’autre. «Je suis d’accord et content qu’il vienne, mais je ne veux pas devoir faire du baby-sitting. C’était l’une des conditions. Nous avons dû mettre en place quelques règles», explique l’ailier de bientôt 40 ans, pas le même à la maison que dans les entrailles de la BCF Arena. «Tu es plus concentré, compare Louis. Je fais en sorte de ne pas te déranger.» Pas des paroles en l’air. La preuve: «Une fois, à Berne, alors que je le pensais avec les «chefs mat», j’ai appris qu’il était monté regarder le match chez les supporters…»
«Coquin», dixit Julien, Louis l’oblige parfois à enfiler son équipement de papa intransigeant. La punition ultime: privé de patinoire! Et Louis d’assurer maladroitement qu’un tel scénario n’a jamais existé. «Ah oui? Tu es sûr que non?» insiste Julien, dans un regard plein de tendresse.
Lors des nombreux trajets en voiture entre Saint-Léonard et le domicile familial d’Estavayer-le-Lac, Julien et Louis Sprunger parlent hockey. Evidemment. «Il aime débriefer les matches. Moi, pas du tout! Il se plaint de l’arbitrage, c’est son côté fan qui ressort», rigole l’ailier aux 1153 rencontres de National League, dont une petite moitié jouée sous les yeux de son fils.
Après une parenthèse de footballeur, Louis s’est remis au hockey, sport qu’il pratique à la «gouille» d’Estavayer-le-Lac, au même endroit que son demi-frère Achille. «Louis est aux goals. Chez les Sprunger, on fait des gardiens», s’étonne le buteur. «Il est pas mal. Grâce à sa taille, il prend de la place. Ce qui ne m’a pas empêché de lui mettre deux ou trois goals.» Et Louis de le fixer, presque étonné: «Qui, toi?»
Pierre Schouwey
