Les salaires versés par Fribourg à Antti Miettinen (à g.) et par Lausanne à Christobal Huet (à droite) sont-ils vraiment choquants? © Aldo Ellena
Ouh lalala, ce que gagnent les sportifs d'aujourd'hui est une vraie honte. Ah si, mon gars, et y compris nos hockeyeurs! Eux, je ne te dis pas le scandale...
Ce dimanche-là, où nous étions une douzaine à partager un joyeux repas, Gaëtan a voulu faire son grand. Ce garçon épatant de 24 ans a dit: «Quand tu vois les salaires des sportifs, aujourd'hui, tu te tires des balles!» Gaëtan, qui est peintre en bâtiment, a ajouté: «On parle toujours de Federer, Messi et compagnie, mais il n'y a pas qu'eux. Même nos hockeyeurs, en Suisse, gagnent trop. Non, c’est vrai. Les joueurs sont trop payés, même à Gottéron!» Gaëtan, qui est fou de hockey et plus encore de Gottéron, n'en pensait pas un mot, mais c'est ce qu'il s'est forcé à dire.
Le fric fou que gagnent les champions, vous, ça vous scandalise? Pas moi. L'argent dans le sport ne m'a jamais empêché de m'emballer pour une finale de Wimbledon, pour une reprise de volée de Van Persie ou un slalom géant de Sidney Crosby. Ce qui me fatigue, en revanche, ce sont ces discussions sur le fric. Ce sont les gens qui répètent comme de foutus perroquets que tous ces millions, franchement, c'est une honte.
Bien sûr que les revenus des athlètes sont délirants! Mais, je m’en contrefous et ne participe jamais à ce blabla, je laisse dire. En revanche, quand on raconte n’importe quoi sur les joueurs de hockey en Suisse, stop! Touche pas à mes hockeyeurs!
D'ailleurs, Gaëtan, dis-moi. Quand tu parles de «beaucoup trop», tu le situes où, ce «beaucoup trop»? Ben des gars payés 600’000 francs par saison, ce n’est pas normal. Ah bon et tu le sors d’où, ce chiffre? Oh! c’est ce qui se dit...
Vous voulez causer chiffres? Eh bien, moi qui en connais quelques-uns pour être proche de certains joueurs et dirigeants, je vais vous en donner: Luca Cunti gagne 570’000 francs par an à Zurich, Ahren Spylo 582’000 à Bienne, Ryan Gardner 643’000 à Berne et Antti Miettinen, à Fribourg, 746’000. Mais non, c’est pas vrai. Je déconne.
Je viens d’inventer ces sommes rien que pour le plaisir de vous faire mousser. Quand j’ai mis ces chiffres sous votre nez, vous auriez dû voir votre tête. Ah! ça vous plaît, hein, de savoir que Machin touche tant et que Chose gagne tant! Le fric, pour exciter votre curiosité, on dirait même qu’il n’y a que ça.
Sait-on ce que gagnent nos hockeyeurs? Non, alors arrêtons déjà de dire qu’ils s’en mettent plein les fouilles. Toi aussi, mon Gaëtan, arrête. Contente-toi d’aimer tes joueurs et, du haut de tes 24 ans, sois content de ne pas être dans leur tranche salariale. En apparence savoureuse, cette tranche est en réalité savonneuse.
C’est celle du bon joueur de ligue A qui aurait ton âge et un contrat de 300’000 francs par saison. C’est beaucoup d’argent, même après toutes les déductions, et rien ne t’a préparé à gagner autant si tôt dans la vie. De l’argent, dans les dix ans à venir, tu en gagneras encore beaucoup. Bien assez pour t’offrir ce que tu voudras, comme le beau coupé sport que tu as vu l’autre jour devant le garage, mais pas assez pour te mettre à l’abri une fois ta carrière terminée.
Mais non, Gaëtan, arrête! Je ne suis pas en train de soutenir que les hockeyeurs crient famine et qu’il faut les plaindre. Pas du tout, je dis simplement qu’ils se situent dans une sale tranche. Dans un bizarre entre-deux parsemé de pièges dans lesquels, sans un peu de sang-froid et sans un bon entourage, tu as toutes les chances de t’égarer. Et de faire des conneries dont toi, avec ton salaire de peintre, et moi avec ma paie de journaliste sommes à l’abri.
Si c'est mon dernier mot? Oui, Jean-Pierre, c’est mon dernier mot.
Pascal Bertschy 
