"Sous un maillot qui se porte avec fierté, si tu le portes; il faudra le mouiller !" Fan's Club Fribourg Gottéron

16 octobre 2025

Slava Bykov: "Nous étions encasernés, mais le plaisir de jouer prenait le dessus"

 

Slava Bykov est à la National League ce que Wayne Gretzky est à la NHL. A savoir le centre le plus talentueux ayant durablement griffé les patinoires de notre pays. Dans ce premier volet en son honneur, l'ancien attaquant de Fribourg-Gottéron et de Lausanne est tout d'abord revenu sur ses années soviétiques pour RTSsport.ch.

Fils de tailleur, c'est à Tcheliabinsk, en Sibérie occidentale, que Slava Bykov (65 ans) a grandi. Il n'a pourtant pas suivi les traces de son père, Arkadi. "ll m'a enseigné la valeur du travail, mais moi j'ai préféré coudre sur la glace", plaisante-t-il. Certes, mais il s'agissait bel et bien de haute couture.

Fait étonnant, l'ancien attaquant, considéré parmi les meilleurs de son époque, aurait pourtant pu passer sous les radars. Car avant ses 18 ans, Bykov n'évoluait "que" dans la formation de son école d'agronomie. Et il n'avait jamais fait partie d'une sélection nationale junior!

S'en est toutefois suivie une progression fulgurante qui l'a conduit du club de pointe local, le Traktor Tcheliabinsk, au CSKA Moscou et jusqu'à l'équipe nationale de l'ex-Union soviétique. Avant, bien sûr, de rejoindre Fribourg-Gottéron et la Suisse en 1990, avec son compère Andrei Khomutov. Puis, enfin, de devenir entraîneur (à lire vendredi dans le 2e et dernier volet de cette interview).

Son palmarès? Huit Ligues des champions, 7 titres de champion d'URSS, 5 titres mondiaux et 2 médailles d'or olympiques. Excusez du peu. Ces victoires, pourtant forgées au sein d'un régime autoritaire, n'ont laissé que de bons souvenirs à notre interlocuteur.

RTSsport.ch: Ce jour où vous avez été invité par le Traktor Tcheliabinsk pour la finale du championnat junior d'URSS, en 1978, a constitué un tournant dans votre vie.

SLAVA BYKOV: Cette année-là, je devais me décider définitivement entre le foot et le hockey. Je ne sais pas si j'ai fait le bon choix...

RTSsport.ch: Est-il vraiment permis d'en douter?

SLAVA BYKOV: (rires) En tout cas, à un moment donné, quelqu'un m'a tendu la main et m'a donné ma chance. Dans la vie, il faut toujours réaliser ses rêves. Même si on n'est jamais repéré, on se doit, au moins, d'essayer: ce message important, j'aimerais l'adresser aux jeunes.

RTSsport.ch: Etiez-vous nerveux avant de disputer votre 1er match en 1re division soviétique avec le Traktor Tcheliabinsk, 2 ans plus tard?

SLAVA BYKOV: Non. L'entraîneur Gennadi Tsygurov avait reconnu mes qualités et m'avait entouré de vétérans qui m'ont bien conseillé. Il a su se montrer patient à mon égard. Ce qui n'est pas évident, car les jeunes ne sont pas forcément stables dans leur progression.

RTSsport.ch: En 1983, vous avez ensuite rejoint le redoutable CSKA Moscou. Ce qui signifiait aussi devenir militaire et donc s'astreindre à un mode de vie spartiate la plupart du temps. Avec le recul, en voulez-vous à Viktor Tikhonov, votre coach tout puissant - et sélectionneur national - de cette période?

SLAVA BYKOV: Non, je lui suis reconnaissant. J'ai été chanceux de l'avoir eu comme entraîneur. Humainement parlant, il aurait pu être différent, mais ses méthodes étaient liées au contexte et à son époque. Pour nous faire progresser autant, pour obtenir tous ces résultats, il fallait passer par là...

Slava Bykov (à gauche), ici sous le maillot de l'URSS en 1986. [Imago]

RTSsport.ch: Malgré toutes les souffrances, les privations, vous ne retenez donc que les bons souvenirs?

SLAVA BYKOV: Oui. Bien sûr, ça me dérangeait d'être séparé longtemps de ma famille, alors que j'étais jeune. Mais sous les ordres de Tikhonov, j'ai énormément appris. Son assistant de longue date en équipe nationale, Vladimir Jursinov, bien connu en Suisse (réd: ex-coach de Kloten de 2000 à 2005), m'a également beaucoup apporté. Certes, nous étions encasernés, mais le plaisir de jouer prenait le dessus. D'avoir pu m'épanouir et gagner avec ce qui est devenu une bande de copains - les Igor Larionov, Sergei Fedorov, Vladislav Tretiak, Alexander Mogilny et j'en passe - était un sentiment incroyable.

RTSsport.ch: Avec l'URSS, vous avez perdu en finale de la Canada Cup 1987, à Hamilton, face à l'équipe à la feuille d'érable (2-1 dans la série). S'agit-il, comme beaucoup le disent, du meilleur tournoi de tous les temps en termes de qualité de jeu?

SLAVA BYKOV: Je pense que oui, mais d'autres ne seront peut-être pas du même avis! Le souvenir de cet événement reste en tout cas gravé dans mon coeur. D'avoir pu affronter des légendes comme Wayne Gretzky ou Mario Lemieux était extraordinaire! Ces matches ont vraiment été déterminants pour l'évolution de notre sport. Sur un plan personnel, j'ai pu toucher au plus haut niveau. Comme cela a par exemple aussi été le cas lors des confrontations entre le CSKA Moscou et des clubs de NHL.

RTSsport.ch: Gretzky, considéré comme le meilleur joueur de tous les temps, est élogieux à votre égard. A ses yeux, vous êtes l'un des meilleurs joueurs qu'il ait jamais affrontés.

SLAVA BYKOV: C'est flatteur (rires)... Quand nous l'affrontions, Tikhonov avait toujours tendance à me mettre en face de Gretzky, afin de le surveiller. Le coach estimait que ma polyvalence et mes capacités physiques étaient parfaites pour ce rôle. Ce n'était pas évident (rires). C'était quand même un joueur exceptionnel, un vrai artiste, auquel ses entraîneurs laissaient une grande liberté sur le plan offensif. J'ai beaucoup appris de ces duels face à lui.

RTSsport.ch: En 1989, après le premier exode des Soviétiques en NHL, vous êtes resté une saison de plus au CSKA Moscou. Ce qui vous a valu de devenir le capitaine de l'équipe nationale au début des années 90. Est-ce que les titres mondiaux de 1990 et 1993, le titre olympique de 1992, ont ainsi davantage de valeur à vos yeux?

SLAVA BYKOV: Je sous-estimerais les autres trophées si je vous disais oui. Chaque tournoi a sa propre histoire, où il s'agit de construire un collectif et de canaliser ses émotions.

RTSsport.ch: Vous auriez largement eu votre place en NHL. Mais vous avez privilégié, on le sait, votre vie de famille en signant à Fribourg. Vous mettiez les pieds dans un championnat helvétique dont la sélection restait sur un net revers 13-5 lors de son dernier duel face à l'URSS, au Mondial 1987...

SLAVA BYKOV: Quand on les affrontait au milieu des années 80 lors de matches amicaux, les Suisses étaient moins forts que nous. Mais on sentait qu'ils avaient du caractère. La force de la Suisse a été d'analyser ses faiblesses, d'observer les autres nations et d'en prendre le meilleur. Et on en voit les fruits aujourd'hui. J'ai d'ailleurs vibré lors du dernier Mondial. J'ai aussi le passeport suisse et j'en suis fier.


"Le sport, c'est une école de vie"

Une anecdote: "A 12-13 ans, j'ai perdu un match 29-0. A 3 minutes de la fin, on avait fait des miracles pour éviter un 30e but. Après le coup de sifflet final, notre entraîneur est entré dans le vestiaire et nous a dit: "Les gars, je suis fier de vous, vous n'avez pas encaissé ce 30e but". C'est ça, le sport! C'est une école de vie, ce sont des relations humaines. Cette leçon m'est restée en mémoire depuis lors".


"J'ai donné ma médaille d'or à Paul Coffey en signe de respect"

Un adversaire: "Le Canada! Les matches contre cette nation ont toujours été exceptionnels, c'était comme un derby. Là-bas, nous avons toujours été bien accueillis, on y trouve de vrais passionnés. Quelle fête nous avions vécue à Calgary, pour ma 1re médaille d'or olympique en 1988! Les cérémonies d'ouverture et de clôture de ces Jeux étaient exceptionnelles, dans un pays qui vit pour le sport. En 1990, j'ai d'ailleurs donné ma médaille de champion du monde au défenseur canadien Paul Coffey, en signe de reconnaissance et de respect. J'admirais ce joueur".


"Mes idoles? Mikhailov, Petrov et Kharlamov"

Votre idole d'enfance: "D'abord, c'était Vsevolod Bobrov. Puis Boris Mikhailov, Vladimir Petrov et Valeri Kharlamov (réd: légendes du hockey soviétique). Je n'ai jamais rencontré Bobrov, seulement sa femme et son fils. En revanche, j'ai connu les 3 autres. Mikhailov était coach assistant au CSKA lorsque j'y jouais, et Petrov a été le président de la Fédération russe au début des années 90. Kharlamov, que j'ai affronté, est malheureusement décédé dans un accident de la route en 1981. J'ai tout de même côtoyé son fils Alexander, et j'ai fait de mon mieux pour essayer de lui montrer le chemin dans le monde du hockey".


La carrière de joueur de Slava Bykov en bref

Né le: 24.07.1960 à Tcheliabinsk.

Taille / poids: 173 cm / 72 kg.

Poste: centre.

Clubs: Metalurg Tcheliabinsk/URSS (1979-1980), Traktor Tcheliabinsk/URSS (1980-1983), CSKA Moscou/URSS (1983-1990), HC Fribourg-Gottéron (1990-1998), Lausanne HC (1998-2000).

Palmarès: 7 fois champion d'URSS avec le CSKA Moscou, de 1983 à 1989; 8 fois vainqueur de la Ligue des champions avec le CSKA Moscou, de 1983 à 1990. Champion olympique avec l'URSS/CEI en 1988 et en 1992. Champion du monde avec l'URSS/Russie en 1983, 1986, 1989, 1990, 1993. Médaille d'argent au Mondial 1987, de bronze au Mondial 1985 et 1991. Membre du Temple de la renommée de l'IIHF.

La carrière d'entraîneur de Slava Bykov en bref

Clubs: HC Fribourg-Gottéron (2003-2004), CSKA Moscou/KHL (2004-2009), Equipe de Russie (2006-2011), Salavat Ioulaïev Oufa/KHL (2009-2011), SKA St-Pétersbourg/KHL (2014-2015).

Palmarès: Champion du monde en 2008 et en 2009; médaille d'argent en 2010, de bronze en 2007 avec la Russie. Vainqueur de la Coupe Gagarine en 2011 avec Oufa, en 2015 avec St-Pétersbourg.


Michaël Taillard

rts.ch